80 ans après le départ depuis Rivesaltes de 2289 hommes, femmes et enfants juifs en 9 convois vers Auschwitz-Birkenau, le Mémorial du camp de Rivesaltes a souhaité mettre en lumière la place particulière de l’ancien camp Joffre, « Drancy de la zone Sud », dans le dispositif de déportation des juifs de la France de Vichy.
En partenariat avec le Musée de la Résistance Nationale, c’est le travail subtil et poignant du photographe Michael Kenna autour de la mémoire des camps qui est ainsi retenu comme fil rouge d’une exposition temporaire dont le commissariat est confié à Michel Poivert, historien de l’art et Président du Collège International de Photographie. Cette exposition met en regard et en dialogue une quarantaine de tirages réalisés à la fin des années 1990 dans d’anciens camps nazis, avec des photographies réalisées à Rivesaltes en mars 2022 à l’occasion d’une résidence de création.
Initialement mandaté par le Mémorial pour réaliser 15 photographies, Michael Kenna a offert finalement plus de 40 tirages supplémentaires qui ont rejoint les collections de notre établissement.
Des tirages à la fois sensibles et évocateurs de cette période particulièrement dramatique du camp et, plus largement, de l’histoire douloureuse, rugueuse, parfois oubliée, simplifiée voire tronquée de dizaines de milliers d’étrangers de tous âges considérés comme indésirables et internés ou relégués à Rivesaltes, et de ceux qui leur sont venu en aide : Espagnols fuyant le franquisme, Tsiganes français repoussés sur les marges, prisonniers de guerre de l’Axe, supplétifs de l’armée française accompagnés de leurs familles fuyant une sanglante fin de guerre en Algérie, militaires coloniaux déchirés par la décolonisation et, plus près de nous, étrangers en attente de quitter le territoire français.
Dans un espace unique, qui superpose un site historique d’internement, de déportation et de relégation, et une œuvre architecturale moderne et puissante le Mémorial du Camp de Rivesaltes archive, consigne, décrypte, documente et explique ces épisodes complexes. Dans cette mission, il est accompagné de chercheurs et de témoins pour reconstituer pas à pas ce puzzle dont les pièces couvrent plus de 600 hectares et 70 ans d’Histoire. Mais au-delà de ce travail scientifique d’Histoire et de Mémoire, le passé a besoin d’artistes pour porter un regard nouveau sur les événements, les interpréter librement et en proposer une actualisation. La mémoire n’est pas seulement savante. L’accueil d’artistes contemporains est ainsi au cœur du travail du Mémorial depuis son ouverture en 2015.
Le travail mené par Michael Kenna est à ce titre exemplaire. Chaque photographie est une œuvre, portée par la subjectivité de l’artiste, sans jamais sublimer ni déshonorer le lieu. Ce témoignage, à la fois unique et universel, nous avons souhaité le partager dans un catalogue afin de présenter au public cette œuvre si singulière et rendre hommage à l’engagement de l’artiste en faveur de la mémoire des milliers de destins tragiques passés par le camp de Rivesaltes.
Céline Sala-Pons Directrice du Mémorial du camp de Rivesaltes
MICHAEL KENNA
Camp de Rivesaltes, Study 18, Pyrénées-Orientales, France. 2022
200 x 200 mm
Mémorial du camp de Rivesaltes – ©Michael Kenna 2022
MICHAEL KENNA
Camp de Rivesaltes, Study 7, Pyrénées-Orientales, France. 2022
200 x 200 mm
Mémorial du camp de Rivesaltes – ©Michael Kenna 2022
MICHAEL KENNA
Camp de Rivesaltes, Study 20, Pyrénées-Orientales, France. 2022
200 x 200 mm
Mémorial du camp de Rivesaltes – ©Michael Kenna 2022
MICHAEL KENNA, LA MÉMOIRE PHOTOGRAPHIQUE, PAR MICHEL POIVERT
Que nous apporte la photographie des sites mémoriels ? Face aux vestiges qui sont préservés par la muséographie patrimoniale, un photographe possède un instrument extraordinaire : son appareil est en soi une machine à conserver la mémoire. Ce qu’il enregistre n’est pas seulement ce qui est là, mais les traces du passé. Le photographe peut alors entrer dans un dialogue sensible avec ce que nous décidons de conserver dans notre présent.
Le photographe se fait archéologue : scrupuleux dans la description et évocateur dans la profondeur historique. Le photographe se fait aussi artiste. L’esthétique de son regard – choix des points de vue, du cadre, des contrastes – parle une langue capable d’évoquer aux yeux du spectateur une réalité passée. Les vestiges prennent alors la parole et conjurent l’oubli.
Décrire photographiquement un site, pour ce qu’il est aujourd’hui en raison de ceux qui y ont vécu et souffert, revient à photographier par procuration les êtres absents. La photographie a ce pouvoir d’être hanté. Elle possède cette “aura” dont parlait le philosophe Walter Benjamin, soit cette capacité d’associer un lointain (le passé) à un effet de présence. La beauté des noirs et des blancs, des compositions et des nuances opérées grâce au temps de pose et au tirage, devient un linceul. La commande photographique passée par le Mémorial du camp de Rivesaltes a Michael Kenna ainsi donné lieu à des poèmes visuels, évoquant notre rapport sensible à l’Histoire.
Michael Kenna fait le choix d’une photographie analogique. Le support sensible porte l’empreinte de la lumière. Il effectue lui-même ses tirages, il ne fait pas de simples images – au sens où elles seraient susceptibles de changer de support – le photographe fait des photographies à jamais uniques dans leur réalité photosensible. Ce sont des corps – physico-chimiques – comme la trace de la présence des Absents. Face à l’Histoire, la poésie est une éthique.
MICHAEL KENNA
Camp de Rivesaltes, Study 1, Pyrénées-Orientales, France. 2022
200 x 200 mm
Mémorial du camp de Rivesaltes – ©Michael Kenna 2022
MICHAEL KENNA
Camp de Rivesaltes, Study 20, Pyrénées-Orientales, France. 2022
200 x 200 mm
Mémorial du camp de Rivesaltes – ©Michael Kenna 2022
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